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Sénégal : le pari perdu de Karim Wade

Une dernière fois, Karim Wade a tenté de changer le cours de l’histoire, et une fois de plus, la justice sénégalaise l’en a empêché. Vendredi 15 mars, la Cour suprême a jugé irrecevable le recours déposé par son parti, le parti démocratique sénégalais (PDS), qui souhaitait suspendre la tenue de la présidentielle, qui doit se dérouler le 24 mars. Il s’appuyait sur le fait que le délai laissé à la campagne électorale n’était que de douze jours et non de vingt et un, comme le prévoit la Constitution – la date a été fixée en urgence, alors que le pays traverse une grave crise politique.
En déposant cet ultime recours avec l’appui de petits partis alliés rassemblés au sein d’un front démocratique pour des élections inclusives (Fdepei), Karim Wade jouait son va-tout, espérant avoir encore une chance d’être repêché et de pouvoir participer à la présidentielle dont l’a privé le Conseil constitutionnel. Son dossier a été écarté en janvier à cause de son renoncement tardif à sa nationalité française.
Cette disqualification avait été coup de massue pour le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade (200-2012), dont il a été le ministre. Dauphin désigné, il n’a cessé de voir ses espoirs de succéder à son père réduit à néant ces dernières années. Un an après que son père a quitté le pouvoir, il est incarcéré et poursuivi, notamment pour enrichissement illicite. Il est condamné en 2015 à 6 ans de prison ferme et à une amende de 138 milliards de FCFA d’amende (environ 210 millions d’euros) avant d’être gracié par le président Macky Sall. Une mesure qui lui permet de recouvrer la liberté mais qui n’efface pas la dette colossale de Karim Wade. Aussitôt libre, celui-ci s’exile au Qatar en vertu d’une négociation politique avec le pouvoir.
Ces déboires judiciaires l’empêchent de concourir à la présidentielle en 2019, mais une réforme du code électorale lui a permis d’espérer de pouvoir être de la partie en 2024. A 55 ans, il avait annoncé début janvier depuis Doha la fin de son exil et avait pris date, selon ses proches, pour un retour à Dakar dans la foulée de l’annonce de la liste des candidats définitivement admis. C’était sans compter sur sa binationalité acquise via sa mère, française. Paru en pleine polémique le 16 janvier, le décret signé par le premier ministre français Gabriel Attal actant la renonciation de Karim Wade à sa nationalité française est paru trop tard et n’aura pas suffi à le sauver. Il sera même l’argument brandi par les juges constitutionnels pour rejeter la candidature de celui qui avait auparavant déclaré sur l’honneur ne détenir que la nationalité sénégalaise, condition nécessaire pour tout prétendant à la Présidence.
Les responsables du PDS n’ont alors eu de cesse de tenter de reprendre la main en bouleversant le jeu politique. Accusations de corruption contre deux juges constitutionnels, diatribes contre les médias internationaux, critiques de la société civile, le parti des Wade a usé de toutes les stratégies possibles pour servir sa cause, jusqu’à être entendu par le président Macky Sall qui a reporté le scrutin initialement prévu le 25 février.
Pour réintégrer la course, Karim Wade ne disposait pas seulement de l’appui du PDS, qui reste un des poids lourds de l’opposition. Des personnalités proches d’Ousmane Sonko, comme l’influent homme d’affaires Pierre Goudiaby Atepa, estimaient ces dernières semaines qu’il était nécessaire que tous les principaux responsables politiques puissent participer au scrutin. M.Sonko qui est disqualifié à cause de ses condamnations donc, mais aussi M.Wade.
C’est grâce à une alliance contre-nature avec le camp présidentiel, traversé par des divisions et des doutes quant à la capacité de son candidat, l’ex-Premier ministre Amadou Ba, de l’emporter, que le PDS arrache un report de la présidentielle à décembre 2024 puis à juin ainsi que la révision de la liste de candidats afin de réintégrer Karim Wade. Mais à chaque fois, le Conseil constitutionnel puis la Cour suprême contrecarrent ces plans.
A qui va désormais profiter la mise hors-jeu de Karim Wade, alors que le PDS reste une influente du pays ? Depuis Doha, Karim Wade, adepte de la discrétion et des silences, est resté fidèle à ses habitudes et n’a donné aucune indication à ses partisans à huit jours de la présidentielle. Sur une scène politique bouleversée, les observateurs en sont réduits à des conjonctures. « Macky Sall a montré beaucoup de dispositions à la participation de Karim Wade mais comment le Pds soutiendrait son candidat Amadou Ba », s’interroge l’analyste politique Babacar Dione. Observateur de l’inimitié entre les deux hommes, il fait partie des journalistes auxquels Karim Wade a personnellement envoyé cette semaine un enregistrement sonore supposé démontrer la corruption de membres du Conseil constitutionnel par Amadou Ba.
Dans le camp adverse, celui de Bassirou Diomaye Faye, le candidat d’Ousmane Sonko, « on ne démarchera pas le Pds », affirme catégorique un cadre. « S’ils décident de faire une déclaration disant qu’ils soutiennent notre candidature tant mieux mais intégrer le directoire de campagne, c’est non. » Comme en 2019, l’abstention pourrait de nouveau être privilégiée par le PDS. Un choix qui comporte des risques, estime Babacar Dione. « Si Karim Wade reste à Doha et ne participe à la politique que par des publications sur les réseaux sociaux, je ne vois pas comment il pourrait continuer à peser au Sénégal. » L’enjeu pour Karim Wade est désormais celui de la survie politique.

Moussa Ngom(Dakar, correspondance)
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